Les faits révélés par le Mouvement Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre bouleversent l’image que nous avions de leur fondateur. Certes je n’ai jamais cru à la sainteté de quiconque, mais les faits portés à notre connaissance sont graves. Il ne s’agit pas du non respect de ses engagements de prêtre, ce qui me laisse indifférent, mais bien d’actes pouvant être qualifiés d’agressions sexuelles. Parmi les femmes ayant témoigné, certaines étaient mineures à l’époque des faits.
Comment comprendre un tel décalage entre ces actes et la personnalité que nous pensions connaître ? L’homme qui déclencha en 1954 « l’insurrection de la bonté » nous paraissait ressentir dans sa chair la souffrance de l’autre. Il avait renoncé à l’argent pour vivre pauvre parmi les pauvres, nous appelant sans relâche à « servir premier le plus souffrant ».
Nous sommes en colère contre lui pour la souffrance qu’il a infligée à ses victimes. Nous sommes en colère contre lui pour le tort que son comportement pourrait faire, aujourd’hui, à la cause du logement des personnes défavorisées.
Nous sommes d’autant plus en colère qu’il nous a appris à l’être. Face à l’injustice, face à la misère, face à l’indifférence, il n’hésitait pas à dénoncer et à crier. Relisons ces mots qu’il prononça en 1984 : « Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides, et qui ayant tout, disent avec une bonne figure, une bonne conscience, nous, nous qui avons tout, on est pour la paix, je sais que je dois leur crier à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs de toute violence, c’est vous ; et quand le soir, dans vos belles maisons, vous allez embrasser vos petits enfants, avec votre bonne conscience, au regard de Dieu, vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients que n’en aura jamais le désespéré qui a pris les armes pour essayer de sortir de son désespoir. »
La colère ne suffit pas à construire mais je la crois nécessaire pour nous arracher à l’engourdissement, au fatalisme et au renoncement. Celles de l’Abbé Pierre ont contribué à nous inspirer et à nous mobiliser. Gardons les !
Bernard Lacharme
Président de l’Association DALO